Le dossier Jaeger avait été bien évidemment détruit. Il reposait quelques parts dans les locaux de la CIA à Los Angeles, après être passé dans le déchiqueteur de papier, puis incinéré soigneusement, à plus de 3 500°C. Rien ne survivait, à cette température là. Même les photos du suspect. D'après le général qui l'avait chargée d'enquêter, le type était là depuis une année. Une année dans ce trou pourri qu'était Arkan? Qu'est-ce qu'il pouvait bien faire là-bas? D'après la brochure fédérale, c'était un endroit dangereux, certes, mais un peu comme toutes les autres villes. Il n'y avait rien à faire sauter. Et le complexe d'Umbrella était beaucoup plus jeune qu'une année entière. Elle avait pris le volant de son 4x4 GMC allègrement offert par l'agence, tout équipé, et avait tracé la route de Los Angeles.

En s'arrêtant de temps à autres pour mâcher un morceau et fumer une cigarette, elle étudiait son dossier de couverture. Formidable. Elle s'appellerait Sarah Lawson, donc, et serait responsable d'un traiteur de cuisine française. Sur le coup, Sarah avait pesté : même le manuel de la CIA ne proposait pas une formation en flash pour devenir un chef étoilé. Sa maîtrise des couteaux pourrait être utile, cependant. Et puis, il devait bien y avoir quelques gars de la CIA qui sauraient lui donner un coup de main, si besoin, et qui avaient sans doute suivi la formation accélérée "Les 101 trucs pour rendre le micro-ondable séduisant". Puis, elle s'était dit que Beckman était un génie : les mafieux de ce monde aimait ce qui était outrageusement cher et un tantinet raffiné. Cette couverture lui permettrait donc d'être en contact avec toute la racaille d'Arkan City. Et son joli minois saurait faire le reste.

Elle était un peu fâchée que la confiance que lui accordait l'Agence, et quand elle parlait de l'Agence, c'était la tête pensante de la CIA, ses supérieurs invisibles, était fondée principalement sur ses qualités actoriales. Sur le fait qu'elle savait rapidement et facilement ce que voulaient les hommes, en jouant de sa candeur et de la fraîcheur de son teint. C'était presque du semi-mondanisme, quand on y pensait. C'était peu flatteur. C'était évidemment sans compter sur les nombreux diplômes qui étaient accrochés dans son appartement, quelque part dans l'état du New Jersey, et qui prenaient doucement la poussière. Après tout, elle était agent de la CIA. Et l'une des meilleures dans sa catégorie.

Bien, alors, cette Sarah Lawson, que faisait-elle, à part passer des heures à préparer des plats qui en jetaient? Elle était célibataire, un peu maladroite, diplômée en bachelor commercial de Berkeley. Elle avait un accent australien. Et surtout, elle n'était absolument au courant de rien.

Douane : "Bonsoir, mademoiselle."

Le faisceau de la lampe lécha l'intérieur de la voiture, tandis que le regard bleu du douanier scrutait attentivement tous les détails.

Douane : "Qu'est-ce que c'est que tous ces débris?"
Sarah : "Oh, je viens de Los Angeles, j'ai fait le trajet en une journée, alors je me suis laissée aller à un certain délaissement. Mais je vous promet que ça ne se reproduira plus."

Le douanier lui sourit.

Douane : "C'était pour plaisanter, mademoiselle. Bienvenue à Arkan. Tout est en règle."

Il la salua de deux doigts posés sur son front, et la regarda partir, avec le sourire bienheureux du mâle hétéro de base qui venait de voir passer Sarah Lawson. Elle activa son GPS.

"Acquisition d'un nouvel itinéraire en cours."

Les nouvelles technologies étaient ainsi faites qu'elle n'avait presque pas besoin de lire son ordre de mission : le GPS allait directement la mener à son nouvel objectif, à savoir...

Elle arriva dans un quartier plutôt calme, presque fermé, un peu à l'écart de la ville. Il n'y avait pas un chat, juste des lampadaires ronds qui semblaient monter la garde, projetant leur paisible lueur orangée sur les plates-bandes impeccables. Elle se gara où le GPS lui indiquait sa destination finale, retira la clé et sortit à l'air libre. Elle regarda le trousseau de clés que lui avait fourni la CIA. Il y avait bien, parmi le porte-clé ringard Tour Eiffel que tous les touristes qui ont un jour visité la ville lumière ont acheté et les clés de sa voiture, une petite clé en argent, avec un numéro inscrit au laser. Elle parcourut les maisons de son regard, trouva le numéro correspondant, près de sa voiture. Elle esquissa un sourire et ouvrit la porte. La petite maison était plongée dans la pénombre. Elle tâtonna une seconde et trouva l'interrupteur. En progressant, elle marcha sur une enveloppe posée sur le sol. Elle referma la porte, verrouilla.

Elle déchira l'enveloppe et en versa le contenu sur la table en bois verni. Il s'agissait d'un nouveau téléphone portable qu'elle imaginait directement relié au serveur central de la CIA, quelques notes, une autre clé, un plan de la ville, et quelques autres indications. Un lecteur vidéo était fourni avec le tout, elle s'assit et l'ouvrit. L'enregistrement du général Beckman se mit en route.

"Bonsoir, agent Lawson. Bienvenue à Arkan. Voici donc ce que vous allez faire. ..."

Sarah écouta attentivement, ne prit aucune note : tout devait rester dans sa tête.

"... Et nous aurons probablement besoin de vous ici, pour des missions annexes. Retrouver Jaeger reste cependant votre objectif principal."

Le lecteur vidéo s'autodétruisit, comme dans les films. Très bien. L'Agent Lawson avait passé avec succès le Jour 1.