La porte se referma lentement. Le bois glissa sur l'encadrement, jusqu'à ce que le petit clic métallique signale à la jeune flic qu'elle était verrouillée. Elle ne referma pas la porte, se contenta simplement de passer la chaîne. Quoi qu'il puisse se passer, elle ne craignait rien. L'appartement était plongé dans la semi pénombre. Seul une raie de lumière filtrait de sous la porte de la chambre de Joyce. Elle devait sans doute faire ses devoirs, ou écouter de la musique, ou traîner sur le net, toutes ces activités normales pour des jeunes. Elle poussa la porte, en toquant légèrement pour ne pas effrayer sa fille adoptive.

Jaina : - Hey.

Joyce était allongée sur son lit, et bouquinait, son casque sur ses oreilles. La musique était forte. Jaina ne put s'empêcher d'esquisser un sourire, se reconnaissant, plus jeune, dans cette attitude. Correction. Lorsqu'elle n'était plus au couvent, bien évidemment. Plutôt dans la période où elle était dans un petit appartement, à Paris, et qu'elle potassait le droit. Joyce leva son regard clair vers elle, et lui sourit. Elle reposa le livre encore ouvert sur son ventre.

Joyce : - Salut m'man.

Cette appellation fit sourire la jeune française. Il avait fallut un moment à Joyce pour se résoudre à ainsi appeler Jaina. Ce qui était facile à comprendre : bien que la flic lui ait sauvé la vie, il était difficile de remplacer dans le coeur d'un enfant ses géniteurs réels. Jusqu'ici, Jaina n'avait pas vraiment été très douée en tant que mère. C'était un apprentissage de tous les instants. Et récemment, alors que sa boulimie naturelle pour le travail semblait s'être tarie, elle était parvenue à trouver un peu de temps à accorder à sa fille adoptive, ce qui leur avait permis de se trouver des points de rencontre. Elle avait appris à l'apprivoiser. Mais elle n'était pas dupe : ce n'était pas une relation à sens unique.

Jaina : - Ca a été l'école?
Joyce : - Assez, oui.
Jaina : - Tu as fait tes devoirs?
Joyce : - Hin hin.
Jaina : - Je vérifie après.
Joyce : - Okay.

Elle reprit son livre. Jaina sourit et referma la porte. Alors qu'elle traversait le couloir de son appartement qui menait à sa propre chambre, elle eut un brusque vertige et dut s'asseoir. Elle se souvenait des désirs de Samantha. Un projet qui lui tenait énormément à coeur, et qui avait immédiatement plu à Jaina. En un sens, il était probable que Joyce soit l'aboutissement, l'incarnation, de ce projet. Elle prit sa tête dans ses mains, soupira. Elle fouilla dans sa poche, en ressortit son portefeuille de cuir. Entre les papiers officiels, passeport, carte d'identité et permis de conduire, entre les coupures de monnaie et les relevés bancaires, il y avait quelque chose d'immuable, depuis deux ans. Cette photo, un peu cornée, sur un papier photo authentique, encore un peu brillant. Celle de sa compagne. Son regard clair, ses cheveux blonds. Son sourire. Le doigt de Jaina effleura la surface glissante, en tremblant.

Que dirais-tu en me voyant aujourd'hui, Sam? Pourquoi t'ont-ils fait cela...

Une larme glissa silencieusement de l'oeil gauche de Jaina, une larme épaisse, rouge sang, lourde, et s'écrasa sur la protection plastifiée de son portefeuille. C'était toujours aussi douloureux, dans les deux situations. Ces larmes de sang étaient un calvaire, le fruit probable du dérèglement de ses glandes lacrymales, suite à toutes ces manipulations génétiques. Et regarder sa compagne, avec qui elle avait eu tant de bons moments, avec qui elle avait dressé tant de projets d'avenir.

Jaina ferma le poing, rageusement. Elle rangea son portefeuille après avoir essuyé le sang sur sa joue et sur le cuir.